Contrat de construction : à qui profite la réception ?
La notion de réception en matière de travaux immobiliers suscite interrogations et confusions, bien qu’elle ait été définie en droit français depuis 1978 , avec la loi Spinetta.
Les publications relatant ses effets théoriques sont abondantes, qui rappellent entre autres :
que la réception est l’acte par lequel le maître de l’ouvrage déclare accepter celui-ci, avec ou sans réserves ;
qu’elle peut être explicite ou déduite de circonstances non équivoques, telles que la prise de possession et le paiement de l’ensemble du coût des travaux ;
que si le maître d'ouvrage refuse ou conteste abusivement l'existence d'une réception amiable, le constructeur peut seulement solliciter que le juge la prononce ;
qu’elle marque le point de départ des garanties légales des constructeurs ;
qu’elle purge les vices apparents au moment de son prononcé ;
qu’elle se distingue de notions voisines, telles que la livraison, la prise de possession, la remise des clés, etc.
Mais ces enseignements ne répondent pas précisément à une question fréquemment posée au praticien du droit de la construction : à qui profite la réception et faut-il la prononcer ou la réclamer ?
La réponse est bien évidemment fonction des circonstances de l’espèce.
Pour autant, des réflexions générales méritent d’être présentées.
I) Les vertus de la réception pour le constructeur
1) Initier les délais des garanties légales
Ce n’est qu’à compter de la réception que le constructeur devient débiteur des garanties décennale, de bon fonctionnement et de parfait achèvement.
Tous ces régimes de responsabilité étant assujettis à des délais, initiés par la réception, le constructeur peut avoir intérêt à les faire courir le plus tôt possible, afin de les épuiser lors de la survenance d’un hypothétique désordre.
Ceci est particulièrement utile s’agissant de la brève garantie de parfait achèvement, qui permet au maître d’ouvrage d’obtenir la prise en charge de n’importe quel type de vice sauf l'usure normale, dès lors que celui-ci apparaît dans l'année de la réception, ou a été réservé lors de celle-ci.
Ces considérations devraient conduire tout constructeur à veiller au constat de la réception selon un procès-verbal, qui lui donnera date certaine, à l’inverse d’une réception tacite, où un débat sur cette date est possible.
2) Purger les désordres apparents
Le maître d’ouvrage dispose du droit d’émettre des réserves au moment de la réception, c’est-à-dire de déclarer que les travaux ne le satisfont pas, que ce soit quant à leur qualité ou à leur conformité au contrat ou à une réglementation.
Le constructeur peut contester le bien-fondé des réserves émises et la charge de la preuve de ce bien-fondé pèsera sur le maître d'ouvrage.
En tout état de cause, une jurisprudence invariable retient que lorsqu’un défaut était apparent pour un profane au moment de la réception, mais n’a pas fait l’objet d’une réserve, alors il est purgé, c’est-à-dire présumé accepté par le maître d’ouvrage, sans recours ultérieur possible contre le constructeur (pour des illustrations : Cass. 3ème civ. 10/11/2016, n° 15-24379 ; 3ème civ., 18/04/2019, n°18-14337).
Le seul tempérament à ce principe réside dans le fait que le désordre n’aurait pas été apparent dans toute ses ampleur et conséquences au moment de la réception (confer Cass. 3ème civ. 10/11/2016 n° 15-24379 ; 3ème civ 27 janvier 2010, 08-20.938).
Alors, l’effet de purge peut être écarté par le juge.
Il se déduit de ce qui précède que le prononcé de la réception peut parfois décharger le constructeur d’une obligation de terminer ou arranger des travaux défectueux ou non conformes, si le maître d’ouvrage omet d’émettre des réserves.
A l’inverse, tant que la réception n’est pas prononcée, l’obligation de résultat du constructeur de livrer un ouvrage dépourvu de vice demeure et son exécution peut être réclamée.
Une importante nuance doit néanmoins être signalée, qui concerne le contrat de construction de maison individuelle avec fourniture de plans (CCMI).
En effet, par dérogation à la règle générale sus-évoquée et à la stricte condition de ne pas être assisté par un professionnel du bâtiment au moment de la réception, le maître d’ouvrage dispose d’un délai complémentaire de 8 jours à partir de la remise des clés pour identifier et signaler au constructeur des vices apparents, selon lettre recommandée avec avis de réception (article L231-8 du CCH).
Ce n’est qu’à l’expiration de ce délai, s’il a lieu de l’appliquer, que l’effet de purge des vices apparents sera acquis, en l’absence de notification de réserves et sauf désordre évolutif.
3) Pouvoir réclamer un paiement et tenter de limiter les pénalités de retard
Il convient ici de distinguer deux cadres juridiques : celui du contrat de construction classique, et celui du CCMI avec fourniture de plans.
Dans le premier cas, les modalités de facturation des travaux peuvent être librement fixées par le contrat.
En pratique, les entreprises sollicitent généralement un acompte à l’ouverture du chantier, puis facturent le solde soit au fur et à mesure de l’avancement, soit à l’achèvement.
Si le contrat ne prévoit aucune retenue de garantie en fin de travaux, alors même une réception avec réserves peut rendre exigible le solde du contrat, de sorte que le constructeur aurait intérêt à la voir prononcer.
Les principes applicables sont analogues s’agissant des pénalités de retard : elles peuvent être prévues ou non par le contrat et si elles le sont, la réception peut marquer le terme de leur computation.
Dans le cas du CCMI, l’article R231-7 du CCH fait du prononcé de la réception une des conditions de la facturation des 5% de solde du contrat, les parties ne pouvant déroger à cette règle.
En outre, la date de la réception va bien souvent servir de référence pour arrêter le compte des pénalités de retard, même si en droit, c'est la date de livraison d'un ouvrage habitable qu'il convient de retenir.
Ainsi donc, d’un point de vue purement comptable, le constructeur est souvent intéressé à la réception de l’ouvrage.
4) Se décharger de la garde et des risques du chantier
En vertu de la théorie de l’accession et sauf clause contraire, l’ouvrage en cours de création appartient au propriétaire du foncier qui l’accueille, et non au constructeur (Cass. 3ème civ 06/11/1970, n°69-11900 ; Cass. Com. 29/05/2001, n°98-21126).
Mais la propriété est une chose, tandis que la garde et la charge des risques du chantier en sont une autre.
Selon l’article 1788 du code civil, ces garde et charge pèsent sur le constructeur jusqu’à la livraison de l’ouvrage, sauf à ce que son maître ait été mis en demeure de le recevoir.
En d’autres termes, si un sinistre quelconque (incendie, vol, vandalisme, blessure d’un tiers, etc.) survient en cours de chantier et avant la réception, alors le constructeur devra par principe en assumer les coût et conséquences, sans rien pouvoir réclamer au maître d’ouvrage.
Même si ce type de dommage peut quelquefois être pris en charge par une assurance, celle-ci n’est pas obligatoire et les exclusions ou limitations de garantie peuvent être nombreuses.
Dès lors, le constructeur peut avoir intérêt à voir prononcer la réception pour se décharger de risques.
5) Rendre mobilisables les garanties d’assurance
Comme indiqué ci-dessus, la réception constitue le point de départ des garanties légales du constructeur.
Il en va de même de sa responsabilité pour faute prouvée, au titre des dommages dits « intermédiaires ».
Les garanties d'assurances étant symétriques avec ces régimes de responsabilité, la réception va également les déclencher.
Le constructeur peut donc avoir intérêt à voir prononcer la réception, pour se reposer ensuite sur la couverture de son assureur et limiter son propre risque financier, s'il survient un désordre.
Néanmoins, l’assureur pourra tenter de démontrer que le désordre est apparu avant la réception, de sorte qu’il échappe à sa prise en charge.
Par ailleurs, seuls les dommages relevant de la garantie décennale sont soumis à l’assurance obligatoire.
Une chose est néanmoins sûre : aucun contrat d’assurance classique ne prend en charge le coût de l’achèvement d’un ouvrage non réceptionné, ou le coût de la levée de réserves de réception.
La seule exception, de taille, est celle du garant dans le cadre du CCMI, qui n'est toutefois pas un assureur à proprement parler, mais une caution.
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II) Les vertus de la réception pour le maître d’ouvrage
1) Obtenir l’accès à l’ouvrage
Un contrat de construction peut interdire au maître d’ouvrage d'accéder au chantier, jusqu'à la réception, sous réserve d'exceptions légales.
En pratique et bien souvent, seul le constructeur détiendra alors les clés.
Dans ce cas de figure (qui est fréquent en matière de CCMI), le maître d’ouvrage pourra difficilement prendre possession des lieux avant d'avoir prononcé la réception.
Or, cette situation peut bien entendu lui préjudicier, surtout si le constructeur prend du retard.
Réceptionner un ouvrage même inachevé ou présentant des défauts peut être un moyen de pallier ce problème.
Néanmoins, cette option est à manier avec précaution, au regard de ses conséquences juridiques et pratiques.
2) Accélérer le processus d’achèvement ou de reprises.
Si un chantier est à l’arrêt et que le délai contractuel d’exécution est expiré et/ou que des malfaçons sont évidentes, plusieurs stratégies s’offrent au maître d’ouvrage.
Il peut résilier le contrat de construction et faire achever les travaux par un tiers, ou les achever lui-même.
Mais ceci est risqué et problématique à plusieurs égards.
Il peut également prononcer (ou faire juger) la résolution du contrat, après mise en demeure infructueuse.
Mais cette voie est encore plus risquée, dès lors que la résolution implique des restitutions réciproques, entre autres conséquences.
Le maître d'ouvrage peut encore agir en justice pour solliciter l'exécution forcée du contrat, ou une expertise.
Mais ces solutions sont longues, coûteuses et incertaines.
Une autre option mérite donc d'être envisagée : provoquer la réception, la prononcer avec réserves, puis mettre en demeure le constructeur de les lever.
Une fois ces formalités satisfaites et à défaut de réaction, le maître d’ouvrage pourra faire exécuter les travaux nécessaires à la levée des réserves aux frais et risques de l’entrepreneur défaillant.
Cette solution n’est pas idéale, puisqu’une contestation pourra naître sur le caractère fondé des réserves, mais également le coût de l’intervention du tiers qui y aura remédié.
En outre et surtout, cette stratégie n’est pas adaptée à un chantier peu avancé, ou à l’hypothèse dans laquelle les sommes d’ores et déjà versées au constructeur excèdent sensiblement le coût des prestations réalisées.
Mais dans certains cas, elle peut faire gagner du temps au maître de l'ouvrage, qui aura donc intérêt à prononcer la réception.
3) Bénéficier des garanties d’assurance
Le raisonnement est ici similaire à celui qui a été développé ci-dessus, au profit du constructeur (I-5).
Face à un entrepreneur à la solvabilité douteuse et en présence d’un dommage potentiellement grave et coûteux à réparer, le maître d’ouvrage pourra avoir intérêt à faire admettre qu’une réception est intervenue, puis revendiquer les garanties d'une assureur décennal ou dommages-ouvrage, par exemple.
La prudence s’impose néanmoins, compte tenu du caractère potentiellement frauduleux d’une telle démarche, si elle est réalisée de mauvaise foi.
4) Favoriser la revente de l’ouvrage
Qu’un ouvrage soit érigé avec l’intention de le revendre ou non, son maître doit avoir conscience de ce que l’absence de preuve d’une réception peut être anxiogène pour un hypothétique acquéreur.
En effet, cet acquéreur pourrait être rebuté par l’incertitude quant aux garanties dont il dispose et la computation de leurs délais.
Et ceci, tout particulièrement pour un ouvrage récent, censé être garanti pendant encore plusieurs années au moment de la vente.
Pour lever cette incertitude, rien de tel que la production d’un procès-verbal constatant la réception, ce qui suppose bien entendu sa régularisation préalable, au contradictoire du (des) constructeur(s) intervenu(s).
En conclusion, la réception est source de conséquences juridiques et pratiques complexes à appréhender.
Son prononcé ou refus méritent une attention particulière et la prise en compte de différentes variables, en fonction du but poursuivi par l’une et l’autre des parties au contrat.
En cas de litige ou de doute, l’avocat praticien du droit de la construction sera un interlocuteur de choix, eu égard à son expérience à la fois théorique et pratique en la matière.