Faute et responsabilité civile de l’avocat et du notaire : quel préjudice est indemnisable ?
Quoique leurs conditions d’exercice soient plus strictement réglementées que celles d'autres professions, les hommes de loi que sont les notaires et les avocats répondent des conséquences de leurs erreurs suivant les mêmes principes que d'autres prestataires de services.
Ainsi, la victime d’un manquement professionnel devra établir l’existence d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre ces deux éléments, conformément au droit commun de la responsabilité civile, pour obtenir réparation auprès de l’impétrant et de son assureur.
Bien souvent, la démonstration de la commission d’une faute ne constitue pas une difficulté majeure.
La preuve d’un lien de causalité entre cette faute et un préjudice, en revanche, est déjà largement plus délicate à rapporter, puisque la prétendue victime doit établir qu’à défaut d’agissement fautif, elle aurait pu faire un choix différent, ou recevoir un avantage.
S’agissant de l’avocat qui aurait manqué à ses obligations dans le cadre d’une procédure, la jurisprudence exige même que la victime "reconstitue fictivement la discussion qui aurait pu s’instaurer" en l’absence de faute , ce qui requiert des compétences juridiques et procédurales avancées (Cass. 1ère civ. 4 avril 2001, n°98-11364).
Mais même si ces deux premières étapes sont franchies avec succès, il appartient encore au plaignant d’établir l’existence et l’étendue précise de son préjudice, ce qui est loin d’être évident en la matière.
En effet et de longue date, la cour de cassation distingue tout d’abord deux situations : celle où la faute du professionnel du droit a causé un préjudice « final » (c’est-à-dire qu’il n’existait pas d’aléa pour la victime) et celle où elle n’a généré qu’une perte de chance.
Les illustrations du premier cas de figure ne sont pas légion en jurisprudence :
Pour le notaire : Cass. 1re civ., 27 févr. 2013, n° 12-15.956 ; Cass. 1re civ., 16 déc. 2015, n° 14-29.758
Pour l’avocat : Cass. 1re civ., 9 juin 2017, n° 16-19.067
Dès lors, le professionnel du droit fautif et son assureur peuvent parfois être tenus de supporter les conséquences de l’entier préjudice subi par la victime.
Mais dans une majorité de cas, ce préjudice n’est constitué que par la perte d’une chance.
Cette notion a été définie comme la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable d’obtenir un avantage, qui ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance, si elle s’était réalisée (Cass. 1ère civ 16 juillet 1998, n°96-15380).
En d’autres termes, lorsqu’il n’est pas absolument certain qu’en l’absence de la faute reprochée, la victime aurait obtenu l’avantage qu’elle estime avoir perdu, alors l’auteur de la faute ne peut être condamné qu’à prendre en charge une fraction de ses conséquences.
Dans la rigueur des principes, le juge de la responsabilité doit donc, en la matière, caractériser tout d’abord l’existence et l’assiette de la perte de chance (l’avantage perdu), puis son taux (qui peut théoriquement être compris entre 1 et 99 %).
Cela étant rappelé, l’appréciation de la perte de chance indemnisable a connu des évolutions au gré des arrêts de la cour de cassation, créant une certaine confusion dans l’esprit des praticiens.
C’est ainsi que dans un premier temps, la haute juridiction a considéré que seule la perte de chance « réelle et sérieuse » devait être réparée (Cass. 1ère civ. 4 avril 2001, n° 98-23157).
Puis un arrêt a énoncé que « la perte certaine d’une chance, même faible » était suffisante (Cass. 1ère civ. 16 janvier 2013, n°12-14439).
Mais une série de décisions a ensuite adopté une position apparemment plus restrictive, en exigeant une perte de chance « raisonnable » pour ouvrir droit à indemnisation (Cass. 1ère civ 30 avril 2014 n°12-22567 et n° 13-16380 ; 1ère civ. 10 juillet 2014 n° 13-20606).
Enfin, deux arrêts rendus par la première chambre civile les 12 octobre et 14 décembre 2016, n° 15-23230 et 16-12686 respectivement, ont semble-t-il opéré un retour à la jurisprudence de 2013.
Dans ces espèces, la cour de cassation a en effet énoncé que toute perte de chance, « même minime », ouvrait droit à réparation.
Hésitantes voire contradictoires en apparence, ces décisions sont pourtant cohérentes.
En vérité, la cour de cassation exige manifestement que les juges du fond qui entendent accorder réparation à la victime caractérisent d’une part, la certitude de la perte alléguée, et d’autre part, la certitude de la chance perdue.
Le premier point n’appelle que peu de commentaires, tant il semble relever de l’évidence.
En effet, il appartient bien entendu à la supposée victime de prouver une perte véritable, et pas seulement hypothétique, telle que celle d’une voie de recours qui en réalité, lui était encore ouverte malgré la faute querellée (pour une illustration : Cass. 1ère civ. 21 novembre 2006, 05-15674).
Quant au second point, il apparaît que la haute juridiction impose aux juges du fond d’établir si la prétendue victime a véritablement perdu une chance "réelle et sérieuse" ou encore "raisonnable", ou si au contraire, il était totalement improbable qu’elle bénéficie d’un quelconque avantage, en l’absence de la supposée faute de l’avocat ou du notaire.
Si une telle chance, même minime, a été gâchée, alors la victime a droit à une indemnisation.
Dans le cas contraire, le juge du fond serait fondé à n’accorder aucune réparation, en arguant de l’absence de certitude de la perte de chance.
Les dernières décisions de la cour de cassation confirment cette lecture.
Ainsi, par un arrêt du 14 novembre 2018, n° 17-28274, la première chambre civile a-t-elle rejeté le pourvoi de prétendues victimes des fautes d’un avocat et d’un avoué, en approuvant une cour d’appel qui avait constaté l’absence de tout préjudice, dès lors que la chance perdue était incertaine et même inexistante :
"que, dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation des éléments de fait et de preuve à elle soumis (...), la cour d’appel a estimé que les consorts X... n’auraient pas pu utilement exercer leur droit de suite, en considération, d’une part, de l’état d’endettement hypothécaire de M. A... dit D..., d’autre part, de la valeur du bien en cause dont l’augmentation invoquée n’était pas établie ; qu’elle a ainsi fait ressortir l’absence de tout préjudice ;"
Dans une autre espèce du 10 octobre 2018, n° 17-21492, la même première chambre a rejeté un autre pourvoi, au moyen de l’attendu suivant :
"Mais attendu qu’après avoir exactement énoncé que, pour être indemnisée, une perte de chance doit présenter un caractère réel et certain, la cour d’appel, par une appréciation souveraine des éléments de preuve qui lui étaient soumis, a estimé que M. X... ne démontrait pas qu’il aurait pu obtenir un nouvel avis d’un expert judiciaire contraire à celui du premier expert judiciaire désigné, ni une indemnisation de son préjudice plus importante consécutive à ce nouvel avis, faisant ainsi ressortir l’absence de préjudice causé par la perte de chance alléguée ; qu’elle en a justement déduit que la responsabilité contractuelle de l’avocat ne pouvait être engagée ; "
En conclusion, le contentieux de la responsabilité civile des professions juridiques réglementées s’avère extrêmement riche et technique.
Pour le profane et même pour le juriste novice du sujet, la formulation d’une réclamation amiable ou judiciaire recèle bien des écueils.
En cas de litige, il est judicieux de consulter un avocat expérimenté en la matière et rompu à la communication avec les courtiers, assureurs et juges instruisant ce type de sinistres, pour apprécier l’opportunité d’un recours et l’initier dans les meilleures conditions.